La voile de compétition vit depuis quelques années une transformation discrète mais significative. Parmi les innovations qui bousculent les codes de la régate, le concept de « Flotte Partagée » s’impose depuis quelques années comme une alternative séduisante et prometteuse. Ce nouveau format de compétition, économique, écologique et équitable fait de plus en plus d’émules chaque saison et les régatiers sont de plus en plus nombreux à se passionner pour ce concept. Décryptage d’un phénomène qui redéfinit la régate moderne.
Une révolution dans la gestion du matériel
Traditionnellement, participer à des régates supposait de posséder (ou de louer à grands frais) son propre bateau, de l’entretenir, de le transporter d’un plan d’eau à un autre, de l’équiper avec du matériel parfois très onéreux. Cette logique excluait de fait de nombreux passionnés ne disposant pas des moyens financiers nécessaires. Le modèle de Flotte Partagée inverse cette dynamique. Dans ce système, les organisateurs d’événements ou les clubs mettent à disposition une flotte de bateaux identiques que les équipages utilisent à tour de rôle. Cela peut concerner aussi bien des dériveurs que des quillards et des monotypes Habitables. Le principe est simple : tout le monde navigue sur le même type de bateau, avec les mêmes performances, ce qui supprime l'avantage matériel.
Équité et performance : la régate à l’état pur
L’un des bénéfices majeurs de ce système est l’accent mis sur la performance humaine. En éliminant l'influence de la qualité du bateau ou de son équipement, les régates en Flotte Partagée valorisent les compétences pures : la tactique, la stratégie, la coordination d’équipage, la lecture du plan d’eau. Les résultats reflètent plus fidèlement les talents réels des marins. Ce retour à une forme d’égalité, crée des courses plus disputées, plus spectaculaires et souvent plus imprévisibles. Il oblige également les équipages à faire preuve d’adaptabilité : chaque bateau a sa propre « personnalité », malgré la standardisation. Changer de bateau à chaque course, comme c’est parfois le cas, exige une réactivité permanente.
Un modèle plus durable et plus accessible
Au-delà de l’aspect sportif, la Flotte Partagée s’inscrit dans une démarche économique et écologique. En mutualisant les bateaux, les clubs ou organisateurs réduisent les coûts d’investissement, d’entretien, de stockage et de logistique. Cela permet de proposer des compétitions à des tarifs bien plus abordables, attirant ainsi un public plus large : jeunes régatiers, étudiants, amateurs passionnés.... C’est aussi le support idéal pour les nombreuses régates 100% féminines qui se développent sur les plans d’eau du pays, à l’image du WLS Trophy, le circuit national de référence et ses 12 étapes en 2025 ! Sur le plan environnemental, l’impact est également réduit : moins de bateaux construits, moins de transports sur remorques, moins de consommation de ressources pour un même nombre de participants.
Une nouvelle dynamique pour les clubs et les ligues
Pour les clubs de voile, investir dans une flotte partagée peut représenter un levier de développement. Cela permet d’organiser des régates « clés en main », attractives et moins dépendantes du matériel des membres. Certains clubs innovent même en mettant leur flotte à disposition pour des événements inter-entreprises, du team-building ou des stages de formation à la régate. C’est d’ailleurs avec le format de la Flotte Partagée que se déroulera cette année le Championnat de France de Voile Habitable Entreprise, du 25 au 29 septembre à Toulon, et toutes ses épreuves sélectives au fil de la saison. Au niveau départemental ou régional, des CDV et des ligues de voile adoptent également ce modèle pour organiser des championnats interclubs ou des sélections pour la Ligue Nationale de Voile , la régate de référence au niveau national en Flotte Partagée, organisée chaque année par la FFVoile et dont la 9e édition se tiendra à La Rochelle du 16 au 19 octobre.
Des formats modernes et spectaculaires
Le concept de Flotte Partagée s’accompagne souvent de formats de course innovants. Les régates sont plus courtes, plus dynamiques, et souvent courues près du rivage pour favoriser la visibilité. Cela rend le spectacle plus accessible au public, qui peut suivre les évolutions des bateaux depuis la côte ou via des retransmissions vidéo. Certains événements intègrent aussi des systèmes de rotation : les équipages changent de bateau après une ou plusieurs courses pour garantir l’équité sur l’ensemble de la compétition. Ce format, inspiré de ce qui se fait notamment en Match-Racing, dynamise le rythme et pousse les compétiteurs à une concentration constante.
La rencontre de tous les mondes de la régate
La Flotte Partagée est aussi un fantastique moyen de rencontres entre des régatiers venus d’horizons complétement différents. Avec son format hybride et attractif, où la convivialité est un élément central dans le déroulement des compétitions, elle attire des marins venus de l’olympisme, des compétitions Inshore plus traditionnelles, du match-racing mais aussi des équipages moins aguerris qui souhaitent partager une expérience sportive et bienveillante avec des régatiers de haut-niveau. C’est aussi un bon moyen pour les jeunes marins d’enrichir leur expérience sur l’eau. De nombreuses filières de haut niveau, y compris en préparation olympique, utilisent désormais ce format pour compléter les connaissances des jeunes talents en compétition. La Flotte Partagée a d’ailleurs son propre Championnat de France Espoirs, qui se tiendra cette année à Martigues, en J70, à la fin du mois d’aout.
Une voie d’avenir pour la voile sportive
Les Flottes Partagées ne remplaceront sans doute pas toutes les formes de compétition en voile, mais elles constituent une alternative crédible, moderne et pertinente. En redonnant la priorité au facteur humain, en abaissant les barrières à l’entrée, et en limitant l’impact environnemental, elles s’inscrivent dans une évolution nécessaire du sport nautique. À l’heure où la voile cherche à séduire de nouveaux publics, à renforcer son image de sport accessible et à répondre aux défis du développement durable, le modèle de la Flotte partagée apparaît comme une réponse adaptée et enthousiasmante. Une manière nouvelle, mais fidèle à l’esprit de la régate, de vivre la compétition en mer.
Rencontre avec Julien Buttner, en charge de la « Flotte Partagée » pour la Ligue Sud de Voile
Les 21 et 22 juin prochains se déroulera la Finale du Championnat Régional de Flotte Partagée, organisée par la Ligue Sud de Voile à Marseille. 12 équipages venus d’horizons différents, de l’olympisme à l’inshore en passant par la course au large mais aussi avec de nombreux amateurs de tous âges, se joueront la victoire sur les J70 mis à leur disposition par l’organisation. Cadre Technique Régional de la Ligue Sud, en charge de la Flotte Partagée, Julien Buttner nous a expliqué les actions entreprises autour de cette nouvelle forme de compétition, qui attire chaque année de plus en plus d’adeptes !
Comment as-tu découvert ce concept de « Flotte Partagée » et qu’elles ont été tes premières réflexions quand tu as commencé à te charger de ce sujet pour la Ligue ?
J’étais entraineur en 420 quand la « Flotte Partagée », qu’on appelait alors « Flotte Collective » a fait son apparition aux Championnats de France Espoirs il y a quelques années de cela. Ça m’a amené à m’intéresser à ce format, dans un premier temps en réfléchissant à ce que les jeunes que j’entrainais pourraient en tirer en testant d’autres supports et d’autres façon d’appréhender la régate. Puis en septembre dernier, la Ligue Sud m’a confié ce sujet et la gestion de la Flotte des J70 qu’elle a acquis il y a quelques saisons. Avant les Jeux Olympiques à Marseille ils étaient basés à terre la plupart du temps mais les travaux faits sur la nouvelle marina permettent désormais de les garder « prêts à l’emploi » toute l’année. Ce site olympique est un outil génial et facilitant. Cette nouvelle flexibilité nous a poussé à lancer de nouveaux projets autour de ces J70. Leur utilisation en « Flotte Partagée » est venue assez naturellement, d’autant que le J70 reste un bateau qui nécessite un gros budget pour être vraiment compétitif sur les régates de la classe à l’international et même sur les gros rendez-vous nationaux. Il a fallu réfléchir à d’autres options pour son utilisation et notamment pour permettre à des jeunes marins de pouvoir naviguer avec.
Ces J70 seront ceux qu’on retrouvera cet été pour le Championnat de France Espoirs en Flotte Partagée qui se déroulera à Martigues. Est-ce que cette perspective a nourri votre réflexion ?
Totalement ! Avant le début de la saison sportive on s’est fixé comme objectif numéro un de pouvoir accompagner vers la performance des équipages représentants la Ligue Sud sur ce Championnat de France Espoirs « à domicile ». On a un réservoir de jeunes exceptionnel et on aimerait jouer la victoire cet été en « Flotte Partagée ». C’est de cet objectif qu’est né le Championnat de France Régional. Pour pouvoir se qualifier pour la Ligue Sud sur le Championnat de France Espoirs il fallait passer par le Championnat de la Ligue, qui a été un bon entrainement tout le long de l’année sur ces régates en flottes réduites et son format très particulier
Pourtant quand on voit les équipages en lice sur la Finale du Championnat Régional, il y a certes beaucoup de jeunes mais aussi des régatiers plus âgés et venus d’autres horizons. Comment avez-vous fait pour les faire naviguer sur ce format ?
Au-delà de ce Championnat Régional on a mis en place tout un panel d’activités pour permettre à ces J70 d’aller sur l’eau le plus possible. On a par exemple sacralisé quatre weekends dans l’année pour des navigations 100% Féminines, mais aussi pour des actions transversales et permettre notamment à des Minimes de découvrir la pratique Habitable en équipage. On a aussi invité des moniteurs de plusieurs clubs de la région à venir naviguer ensemble. C’était un moment très sympa. Ce qui est top c’est que pour la Finale du Championnat Régional de Flotte Partagée on aura des représentants de tous ces publics qu’on a accueilli par ailleurs cette année, avec des équipages espoirs forcément, mais aussi des plus jeunes, des moniteurs, des étudiants, des équipages 100% féminins, et des marins venus d’autres horizons, comme l’olympisme ou l’IRC, qui viennent s’intéresser aux particularités de la pratique en Flotte Partagée. Finalement ce sont les actions qu’on a mis en place qui ont fait que le Championnat Régional de Flotte Partagée a eu du succès. La proximité avec le Pôle France est aussi un vrai plus. Et on a la chance d’avoir des cadres techniques de grande qualité pour encadrer les compétitions, avec notamment des umpires comme Philippe Michel, Laurent Gaillot ou Xavier Rohart.
Est-ce que cette autre façon de régater permet aussi de moderniser la manière d’organiser une compétition de voile ?
On mise beaucoup sur la simplicité dans notre manière d’organiser ces compétitions, en fonctionnant beaucoup via Whatsapp pour les infos aux coureurs plutôt que les canaux « traditionnels » de la régate. Ça colle bien à l’esprit du format Flotte Partagée, avec du jugement direct sur l’eau et une convivialité au cœur des weekends. On tient à organiser à chaque fois un repas entre les coureurs en plus d’essayer d’être le plus proche de leurs attentes avant et pendant que l’on est sur l’eau. Les régatiers sont contents d’avoir ces moments de partage, d’autant plus que ce sont des marins venus d’horizons très différents qui se rencontrent et qu’ils ont plein de choses à partager. Sur l’eau aussi on essaye d’avoir le maximum de fluidité possible, en mettant les équipages en attente sur des « bateaux-pontons » pour qu’ils puissent vivre au plus près les courses des autres concurrents. On utilise les bouées géostationnaires pour gagner en efficacité pendant et entre les courses également, en plus de réduire certains couts matériels et humains. Pour le reste on peut s’appuyer sur les clubs locaux, comme l’ASPTT ou l’YCPR chez qui on « passe commande » en fonction de nos besoins. Ça permet aux clubs d’avoir des rentrées d’argent sans avoir grand-chose à gérer eux-mêmes.
Quelles sont les autres avantages d’une Flotte Partagée, en dehors des compétitions ?
Avoir une flotte de bateau identique permet de proposer beaucoup de choses, et pas seulement à travers des régates. J’ai notamment créé les « Jeudi Étudiants » pour accueillir les étudiants des universités et des Écoles marseillaises avec des tarifs accessibles, à 25€ par personne. Et lors du colloque fédéral organisé il y a deux mois à Marseille, j’ai également organisé un mini-championnat avec les J70, en répartissant les 60 cadres et entraîneurs venus de toute la France en équipages et en 3 poules. C’était un moment de partage très sympa.
Quelles sont les perspectives pour les années à venir ?
Pour les saisons à venir on aimerait que davantage d’équipages de clubs rejoignent l’aventure, pour créer un lien encore plus fort avec la Ligue Nationale de Voile, la compétition 100% interclubs au niveau national en Flotte Partagée. Je suis certain qu’on peut aller chercher des régatiers qui seraient intéressés par ce format, convivial, sans prise de tête au niveau logistique, et combine intensité et simplicité sur l’aspect sportif. C’est vrai que la notion de « club » est peut-être moins présente dans le Sud que dans d’autres régions mais c’est quelque chose sur lequel on va travailler. Au final dès cette édition du Championnat Régional de Flotte Partagée, on aura des équipages de clubs qui seront présents sur la prochaine LNVoile, donc le processus est déjà bien engagé.